Imposer des règles ou non aux enfants?
Il y a quelques décennies, le père avait une grande autorité sur ses enfants. Il imposait la loi, il sévissait si nécessaire. Après mai 68, il a été interdit d’interdire. Sous l’influence des théories psychanalytiques, vulgarisées par Françoise Dolto, parents et spécialistes en sciences humaines sont intervenus pour protéger les enfants de toute forme d’autorité. Aujourd’hui, nous constatons que les adultes qui ont bénéficié dans leur enfance de cette protection rencontrent des difficultés parfois bien plus grandes que celles de leurs aînés qui avaient dû se soumettre à une autorité. Nous allons tenter de comprendre ce phénomène à partir d’un exemple.
Une règle imposée par l’autorité paternelle : le silence à table
Parmi les pères de famille qui ont exigé le silence à table, certains pères ont utilisé cette règle pour brimer leurs enfants, pour satisfaire leurs besoins de dominer, d’écraser, d’être tranquilles. D’autres ont su par contre créer une ambiance familiale où chacun avait sa place et où il y avait un temps pour chaque chose : pour manger, pour jouer, pour travailler, pour s’exprimer….
Quelle que soit la motivation de leurs parents, les enfants ont réagi différemment à ces contraintes
Certains ont apprécié ces ambiances et y ont trouvé la sécurité pour grandir. D’autres, plus extravertis, ont parfois été frustrés de ne pas pouvoir prendre la parole quand ils en avaient envie mais ont trouvé d’autres lieux d’expression.
Les enfants qui, soutenus par un autre adulte, se sont posés en victimes et ont justifié leurs limites et échecs par cette attitude d’autorité parentale, sont restés bloqués dans la victimisation. Ce n’était pas de leur faute s’ils ne pouvaient pas s’assumer. Ils avaient de bonnes raisons de refuser de grandir. De même, des adultes qui, confrontés à une difficulté passagère, consultent un psy ou un psychanalyste réécrivent leur histoire… et se sentent victimes après coup. Au lieu de voir comment sortir de leurs difficultés passagères, ils s’enfoncent dans un refus de ce qu’ils sont. Ils cherchent sans fin ce qu’ils auraient pu être si leurs parents avaient été les parents idéaux auxquels ils avaient droit et s’ils n’avaient pas été brimés ou parfois simplement frustrés.
Un nouvel idéal : la libre expression de chacun
Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Il n’est plus question d’imposer le silence à table. La personne qui oserait le faire serait immédiatement accusée par son entourage de manquer d’écoute et de respect envers ses enfants.
Les parents, les enseignants et les éducateurs ont l’impression de bien faire les choses quand les jeunes expriment ce qu’ils sentent, ce qu’ils vivent et ce qu’ils pensent et ils s’interdisent alors de les couper. Parfois, ils sont tellement en demande de confidences que les enfants dont ils s’occupent se sentent envahis, violés dans leur intimité. Certains inventent ou amplifient des détails croustillants pour l’effet qu’ils vont produire.
Derrière ce désir d’être à l’écoute de l’enfant se cache parfois un besoin de tout contrôler et de tout diriger.
De nouveaux effets pervers
Il est vrai que la valeur « autorité » a cautionné des attitudes toxiques dans les familles et les institutions. Mais quand, au contraire, on condamne toute interdiction, on oublie à quel point des règles claires structurent les personnalités.
Quand le droit de s’exprimer devient une interdiction de se taire
Chacun n’éprouve pas le même besoin de s’exprimer. Les extravertis trouvent de l’énergie et une certaine clarté lorsqu’ils ont l’occasion de communiquer. Les introvertis ont besoin de silence, d’intériorité pour parvenir au même résultat. Lorsque la communication est sur-valorisée, la non-communication devient le symptôme d’une anomalie, d’un mal-être. Le droit à la différence reste bafoué.
Dans nos systèmes éducatifs, les enfants introvertis sont impuissants à satisfaire les attentes des adultes qui s’inquiètent de leur silence. Ils se sentent différents, moches, pas « comme il faut ». Ils se rendent compte qu’ils devraient s’exprimer plus, mais ils ne savent ni pour quoi dire, ni comment dire. Ils n’en ressentent pas la nécessité. Ils se marginalisent donc ou ils apprennent à parler pour ne rien dire, sans rien attendre, simplement pour faire leur devoir d’enfant communicatif. Mais cela leur coûte beaucoup d’énergie.
Quand le devoir d’écouter devient une interdiction de faire taire
Il n’y a pas que les enfants qui souffrent de cette situation. Pour se conformer au modèle qu’on leur impose, les parents et éducateurs se coupent de ce qu’ils ressentent et de leur spontanéité. Quand l’écoute devient un droit absolu, des parents épuisés n’osent pas dire à leurs enfants de les laisser un peu tranquilles et d’attendre qu’ils soient un peu plus disponibles pour se raconter. Pour ne pas les frustrer, ils s’efforcent d’être toujours à l’écoute. Certains n’ont plus une minute à eux. Epuisés, ils ne parviennent plus à cacher leur lassitude et se montrent agacés.
L’enfant que l’on s’oblige à écouter sans plaisir ni intérêt réel se perçoit alors comme un poids. Ce qu’il dit n’est pas très intéressant puisque cela ne passionne pas sa maman. Il s’efforce d’en rajouter, dans l’espoir de la toucher… sans se rendre compte que ce qui se passe n’est pas dû au contenu de ce qu’il raconte mais au moment et aux conditions choisies pour le raconter.
Des adultes-enfants qui débordent
En remplaçant une règle de savoir-vivre ensemble par une liberté d’expression pour tous, tout le temps, certains parents oublient de mettre en place un cadre dans lequel le jeune apprend à dialoguer et à s’exprimer d’une manière socialement acceptable. Des règles claires permettent le respect des différences et la satisfaction des besoins de chacun.
Devenus adultes, certains de ces jeunes continuent à vider leur sac à toute heure du jour et de la nuit, n’importe où, devant n’importe qui, comme et quand ils en ont envie. Submergés par leurs émotions, ils sont incapables de reporter ce qu’ils ont à dire et de choisir un moment qui soit confortable aussi pour l’autre. Ils n’ont pas appris qu’un dialogue, cela se construit à deux ; que l’autre a sa propre vie et qu’il ne leur est pas totalement disponible ; qu’on ne parle pas de la même manière à un enfant, un jeune, un adulte, un parent… et que s’adresser à quelqu’un c’est aussi prendre en compte ce qu’il a à dire, c’est lui donner une place. Ils ressentent tout manque d’écoute comme un rejet.
Les règles donnent du temps pour chaque chose
C’est seulement dans le silence intérieur que peut se faire un travail personnel d’intégration des différentes expériences et des émotions. Ce travail renforce le moi, la confiance en soi et donc la possibilité de contrôler sa vie.
Les règles qui imposent des temps de silence permettent de ponctuer la vie de l’enfant de moments d’intériorisation, de « digestion » et de moments d’extériorisation. Elles permettent aux parents et aux éducateurs de garder la distance indispensable pour construire des relations de respect mutuel.
Pour continuer votre réflexion
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